Article 7: appliquer le principe 3F pour devenir un excellent pratiquant d’arts martiaux
Dans ce septième article, Sifu SCHÜSSLER nous explique comment les principes architecturaux se reflètent dans l’esthétique des arts martiaux
Le terme form follows function, également FFF ou littéralement « la forme suit la fonction », est un précepte du domaine de l’architecture et du design, en particulier du design de produit. Selon ce principe la forme, la conception des objets doit découler de sa fonction, de son utilité. À l’inverse, on peut également déduire une fonction de sa forme.
Le terme est issu d’une célèbre phrase de Louis Sullivan, architecte américain et principal représentant de la Chicago School, tirée du texte : « The tall office building artistically considered », publié en 1896. Il cite une phrase de son partenaire Dankmar Adler qui l’avait reprise en substance de Henri Labrouste : « C’est la loi de toutes les choses organiques et inorganiques, physiques et métaphysiques, humaines et surhumaines, de toutes les véritables manifestations de l’esprit, du cœur et de l’âme que la vie soit reconnaissable dans son expression, que la forme suive toujours la fonctionnalité. »
Comment ce leitmotiv peut-il s’appliquer aux arts martiaux ?
La fonctionnalité d’un art martial est relativement simple : lorsque l’on doit combattre, l’objectif est l’intégrité physique et personnelle. Cet objectif ne peut être atteint que si les actions sont réalisées avec un ratio « 100 % sécurité et 0 % de risque ». Cette stratégie ou ce fonctionnement subordonnés peuvent ensuite être décomposés à chaque niveau.
L’histoire des arts martiaux chinois illustre particulièrement bien le terme de « forme ».
La grande variété des « styles » est particulièrement frappante : l’imitation de comportements animaux (styles du serpent, de l’aigle, du singe, etc…), l’orientation par rapport à des symboles philosophiques ou les influences dues à la géographie ont eu une grande répercussion dans les arts martiaux chinois. On peut cependant observer qu’il n’existe pas une convergence unique et constante qui permettrait de retrouver un fonctionnement ou une fonctionnalité universelle entre ces différents styles.
L’introduction d’une fonction combative efficace
Les différentes perceptions humaines ont établi une forme devant être mise en œuvre avec le plus d’efficacité dans une fonction combative. Ce phénomène a eu lieu dans tous les secteurs géographiques d’Asie où les sports de combat/arts martiaux d’aujourd’hui ont été en grande partie importés dans le monde occidental. En Europe des évolutions comparables, illustrées par les différentes écoles d’escrime, sont également visibles.
L’impact des interprétations, conceptions et expériences personnelles
Les interprétations personnelles des expériences passées, accumulées et transmises par les générations précédentes, ont joué un rôle dans l’évolution des arts martiaux. Elles constituent l’expression de la perception/conception individuelle et de la capacité d’application des contenus appris, des informations et expériences propres. Si ces expériences propres ne sont pas retranscrites au niveau pratique, et qu’elles ne sont éventuellement pas comparées en pratique avec les expériences d’autres personnes, alors il sera difficile de formuler une base de fonctionnement valable universellement et de concevoir ensuite sa mise en œuvre.
Une analogie simple peut être trouvée dans la musique. Ceux qui ne fondent leur compréhension musicale que sur les arrangements et les mélodies ne peuvent qu’intégrer/jouer une forme musicale réduite car ils sont limités à cette conception. Au contraire, ceux qui apprennent et ont d’abord mis en œuvre la base de fonctionnement de la musique (via le solfège, la conception de mélodie, etc.), peuvent s’immerger dans tous les styles musicaux. Dès lors, la progression et la prise en compte des goûts propres pour aboutir à un style musical personnel devient une simple formalité.
L’application de principes logiques dans les arts martiaux
Pour les arts martiaux, lorsque des principes logiques font office de leitmotivs, il est clair que chaque mouvement, chaque action doit suivre ces leitmotivs. Ainsi, on est en mesure d’adapter chaque action en modifiant des valeurs-clés comme le timing, la distance, etc, afin de pouvoir se glisser dans toutes les formes. La fonctionnalité est semblable à un caméléon : elle revêt toutes les formes lorsqu’elle le souhaite ou qu’elle y est obligée, sans altérer la fonctionnalité. Les paramètres sont modifiés uniquement les uns par rapport aux autres, telle une matrice en mathématique.
Dans une autre perspective, lorsque la fonctionnalité d’un art martial n’existe plus en raison de la disparition d’un paramètre, la partie restante revêt une certaine forme fixe pouvant alors être classée en tant que style X. Ce style X n’est alors plus utilisable de manière universelle, puisqu’il ne peut plus contrôler le paramètre ayant disparu. De manière semblable au fonctionnement d’une machine qui dispose d’une conception logique pour une utilisation X : si l’on enlève une pièce A à cette machine, alors la propriété de la machine quant à l’utilisation est modifiée et sera peut-être uniquement utilisable pour une utilisation Y. Si l’utilisation X couvre en totalité l’utilisation Y, la réciproque n’est pas forcément vraie. Il faut alors soit décider d’utiliser à nouveau la pièce A soit de ne plus pouvoir profiter de l’utilisation X en toute connaissance de cause.
La conséquence de la violence dans dans les confrontations physiques
En raison de l’accroissement de la violence dans les confrontations physiques au cours des dernières décennies, les exigences adressées aux différentes disciplines d’autodéfense se sont à nouveau rapprochées de l’utilité originelle : la mise à disposition d’un outil de développement mental et physique programmant ses propres agissements en respectant le leitmotiv « 100 % sécurité et 0 % de risque ».
Comme la violence physique a été très codifiée durant une longue période (dotée de règles morales d’un point de vue social), de nouveaux styles ont pu apparaître adaptant leur thème central grâce à de nouvelles interprétations humaines. Dès lors, le pratiquant n’étant pas obligé de tout contrôler, des actions n’ayant plus à satisfaire aucun leitmotiv universel ont pu voir le jour. La créativité n’a pas connu de limites, comme dans un bar où de nouveaux cocktails sont régulièrement conçus afin d’offrir aux clients un goût que l’on ne retrouve que dans ce bar et qui se différencie ainsi des autres concurrents.
Le fait de préférer suivre une forme plutôt qu’une fonctionnalité ou bien le contraire reste une décision personnelle qu’il ne faut pas critiquer !
Par contre, si, lorsque l’on suit cette forme on ne dispose plus d’aucune fonctionnalité, la critique est justifiée ! Si l’on fait un tel choix, il s’agit non seulement d’un leurre mais également d’un danger lié à des effets secondaires psychologiques car on adopte une posture mentale qui ne se base pas sur des fondements corporels et mentaux indispensables.
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