Article n°2: « Réflexion sur le Chi-Sao dans le Wing Tsun »
Nous poursuivons la publication des articles rédigés par Sifu Marcus SCHÜSSLER.
Pour le mois de mars et avril, c’est Chi-sao!
Chi-Sao (traduction « bras collants ») est un exercice développé à partir de l’art martial traditionnel qui, d’un point de vue neurophysiologique contemporain, constitue la seule méthode permettant de programmer des changements de comportement vraiment fondamentaux. Le but ambitieux, d’apprendre et d’acquérir le contrôle de soi-même et par suite de l’adversaire, est un processus demandant des décennies, quand on fixe la barre très haut.
On a déjà beaucoup écrit et rapporté sur le pour et le contre des exercices de Chi-Sao, mais rarement dans le contexte de l’influence du Chi-Sao sur le comportement général d’attaque, d’après le 1er principe de combat du Wing Tsun: champ libre, frappe. Dans cet article, on se propose de faire ressortir plus nettement cet aspect.
Le déroulement du processus du Chi-Sao est subdivisé en plusieurs étapes, celles-ci se distinguant toutefois en détail, chronologiquement et substantiellement, selon les organisations et les écoles. Dans l’IUEWT, on commence par de simples enchaînements d’exercices à un bras, le but étant de mieux comprendre les techniques de la 1re forme (Siu Nim Tao). À la fin de cette phase de relativement grande envergure, on se tourne vers le Chi-Sao à deux bras, qui restera jusqu’à la fin du Wing Tsun sans armes le composant principal des exercices. Ici, à l’exemple du Chi-Sao à un bras, on se propose maintenant d’essayer d’illustrer les principes mêmes du Chi-Sao en tant que tel, ceux-ci devant être ultérieurement appliqués de façon analogue au Chi-Sao à deux bras.
La décomposition
Dans le Chi-Sao à un bras, le bras inactif, poing fermé, est « stationné » le long du corps en position de base comme dans le Siu Nim Tao. Après un certain nombre de techniques simples est inauguré le Dan-Chi-Sao dit standard, dans lequel on a la séquence suivante, qui est en fait sensiblement la même, quelle que soit la variante de style: la position de départ est le Tan-Sao (paume en haut), et le Fook-Sao (bras-pont) appuyé sur ledit Tan-Sao. Partant du Tan-Sao, le partenaire A porte un coup du plat de la main au point central du partenaire B, sur quoi le partenaire B absorbe et neutralise le coup par un mouvement de Jum-Sao. Ensuite, le partenaire B prépare un coup de poing au point central du partenaire A, que le partenaire A absorbe ensuite et neutralise par Bong-Sao. Ensuite, les deux bras retournent dans leur position initiale.
Très souvent, un observateur externe remarque que l’exercice est exécuté comme une sorte de chorégraphie à deux protagonistes, dans laquelle les deux partenaires se « font cadeau » mutuellement de jouissance de succès, en ce qu’ils « téléphonent » corporellement leur attaque, moyennant quoi le partenaire reçoit en « cadeau » une haute probabilité de succès pour une réaction semi-visuelle. Or, pour l’objectif proprement dit du Chi-Sao, de « l’apprentissage des sensations tactiles », ceci est contre-productif. Par exemple, il est préférable qu’après l’attaque du plat de la main, encaissée par Jum-Sao par le partenaire B, le partenaire A s’efforce de continuer d’attaquer, ce qui signifie en pratique qu’il doit continuer d’exercer une certaine pression pour maintenir une menace d’attaque constante. Ce n’est qu’avec une menace d’attaque constante du partenaire que l’on peut concrétiser les principes de combat du Wing Tsun: 1. Voie libre: frapper, 2. Coller, 3. Céder, 4. Suivre.
L’appréhension des distances
Pour mieux faire comprendre ce principe d’attaque ou de menace d’attaque constante, effectuons ici une brève séquence d’exercices: positionnez-vous avec un partenaire de sorte à vous faire face. La distance entre vous est d’environ 2 m. Vous sentez-vous alors menacé par votre protagoniste de quelque façon que ce soit? Probablement pas! La distance est telle que votre partenaire ne saurait exploiter contre vous de moment de surprise sans « téléphoner ».
Mais maintenant, votre partenaire fait un pas vers vous, franchit donc normalement environ 1 m. Quelle est maintenant votre impression? Voulez-vous encore rester à votre place? Ou préférez-vous peut-être en changer pour rétablir une distance que vous ressentez comme « plus agréable »? Mais cette fois, ne bougez pas, pour que nous puissions illustrer notre exemple plus intensément!
Maintenant, votre partenaire se rapproche encore; il n’est plus qu’à un demi-mètre environ. Comment ressentez-vous la situation à présent? Vous sentez-vous tenté de la changer? Sentez-vous que votre dernière chance est arrivée, de rétablir encore une fois une distance agréable si vous changez de place juste maintenant? Si ce n’est pas le cas, c’est sûrement que vous aimez le risque. Mais la plupart des gens n’aiment pas que l’on s’introduise dans leur secteur privé, en réduisant leur zone de sécurité et en exerçant en même temps une menace.
Continuons de jouer le jeu: vous changez maintenant de place et vous rétablissez pour vous une distance « agréable » ou votre zone de sécurité. À ce moment, votre partenaire vous suit et tente d’empêcher que cette « distance de menace » qu’il a su atteindre reste égale et ne redevienne pas plus grande. Et puis, pendant un certain temps, vous continuez de jouer cet exercice, à présent permanent et dynamique.
Si maintenant on analyse l’exercice, on reconnaît suivre constamment le « réflexe de fuite » connu de par la neurophysiologie, tandis que le partenaire est toujours « l’individu menaçant ». Lequel de vous deux se sent ici en position de supériorité, avant tout psychologique? C’est sans aucun doute plutôt votre partenaire. Ce phénomène s’explique très simplement: pour la fuite (généralement vers l’arrière !), on doit se concentrer sur bien plus de choses que votre menaçant protagoniste (vous vérifiez constamment de tête : la trajectoire de fuite n’est-elle pas barrée? la zone de sécurité est-elle conservée? puis-je encore gagner un peu de distance? puis-je conserver mon équilibre? etc.), alors que les choses sont beaucoup plus simple pour le protagoniste menaçant : il n’a à se concentrer que sur vous et sur son avance, car il a tout dans son champ de vision. Pour cette raison déjà, il est plus judicieux d’être la partie menaçante, ou mieux, attaquant.
Le Chi-Sao
Qu’est-ce que tout cela a à voir avec le Chi-Sao ? On retourne à la situation du coup du plat de la main : après que le coup du paume de la main a été porté et a été neutralisé par Jum-Sao, on constate qu’il n’est pas judicieux de relâcher la pression, ou mieux: la « disposition menaçante d’attaque », car sinon, le partenaire peut exploiter ceci à son profit pour nous amener alors à notre tour dans la situation d’être menacé. En outre, une disposition à l’attaque doit régner pour le cas où le partenaire retirerait tout à coup son bras et où nous devrions charger sans réfléchir plus avant. Si maintenant, après sa défense, le partenaire ne veut pas non plus quitter de son côté sa « disposition menaçante d’attaque », il doit lui aussi exercer une pression vers l’avant. Si maintenant les deux partenaires suivent intelligemment ce principe, les deux personnes agissent avec pression. Par suite de cette logique, l’existence d’un Wing Tsun sans pression n’est pas possible, alors que l’est au contraire un Wing Tsun sans « force ». Car la force sentie (en l’occurrence la force provenant de la musculature du propre corps) n’est que la perception subjective des contractions musculaires. Malheureusement, on n’est pas encore en mesure d’appréhender la contraction musculaire d’une autre personne, et on ne peut donc avoir de perception que par l’intermédiaire de la résistance de son propre corps. Or, c’est précisément elle que l’on s’efforce de minimiser dans le Chi-Sao, en apprenant à réduire les résistances! Ici, c’est aussi la philosophie du taoïsme qui a eu une grande part à la structure de la technique, car le Chi-Sao enseigne de se familiariser avec le taoïsme et de le vivre sous sa forme physique pour se transformer soi-même.
Comme on l’a expliqué au début, ce processus appliquant le taoïsme demande des années pour réaliser à fond les transformations souhaitées. À cela est aussi liée une transformation mentale associée au processus de maturation d’un individu. Par exemple, la période d’enseignement de Yip Man à Hongkong est subdivisée en différentes phases, au cours desquelles ont été aussi formés différents élèves originaux, lesquels se distinguaient en partie très nettement dans leur application dudit enseignement. Ceci s’explique du fait que Yip Man a traversé lui aussi de son vivant différentes phases de développement, corporel comme mental, et qu’il a ainsi enseigné à ses élèves l’expérience respective de ces différentes phases. Mais il n’a pas pour autant stoppé son propre développement.
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